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Les Mémoires d'Ami Bost

critique parue dans la Revue suisse (1854)



Mémoires pour servir à l'histoire du réveil religieux des églises protestantes de la Suisse et de la France, et à l'intelligence des principales questions théologiques et ecclésiastiques du jour, par Ami Bost (1854)

Il n'y a sans doute aucun lecteur de la Revue Suisse, si homme du monde qu'il puisse être, qui ne sache ce que c'est que le Réveil religieux. Ce mouvement puissant, qui, il y a trente ou quarante ans, a agité, ranimé et en partie renouvelé les églises protestantes de la Suisse et de la France, est sans contredit le plus grand fait qui y ait eu lieu depuis leur naissance, c'est-à-dire depuis la Réformation. Quels qu'aient pu être les tâtonnements et les aberrations du Réveil, sa nécessité et son influence salutaire n'en sont pas moins hors de contestation, et celui qui les méconnaîtrait s'exposerait à ne comprendre que peu de chose à tout ce qui s'est passé dès lors dans nos pays, soit dans le domaine religieux, soit même dans d'autres domaines. Parmi les théologiens ou les prédicateurs qui, de nos jours, exercent encore quelque influence dans le monde protestant, ceux-là même dont la tendance semble la plus différente de celle du Réveil, ceux-là même qui en battent en brèche les principales doctrines, en relèvent directement. Quiconque s'est obstiné à rester en dehors de ce mouvement, est resté en arrière de tout mouvement. C'est ce qu'ont senti les corps ecclésiastiques eux-mêmes : d'abord effrayés des allures innovantes du Réveil et de ses doctrines fortement accentuées, ils se sont enfin fait une raison ; il se sont dit qu'après tout, les paradoxes d'aujourd'hui finiraient bien par devenir des lieux communs, et dans cette espérance, ils se sont hardiment ralliés au mouvement, heureux d'accepter la révolution d'hier, afin de pouvoir nier celle de demain.


On comprendra donc aisément quel intérêt doivent offrir des mémoires sur le Réveil, écrits par un de ses plus anciens champions, un des plus ardents et des plus actifs, et écrits avec une entière franchise. M. Bost n'est pas de ceux qui cherchent à dissimuler les divisions du camp dans lequel il combat, pour ne pas donner prise aux railleries de ceux du dehors. Il a pour cela trop de confiance en la vérité et n'admet pas la diplomatie dans les choses religieuses. Tout en nous parlant, avec enthousiasme et avec un certain regret, des premiers temps du Réveil, de ce beau temps de foi. de fraternité chrétienne, de zèle missionnaire, de persévérance au milieu des persécutions et des privations, il ne prend point en face de la génération nouvelle le rôle de Nestor, auquel il aurait pourtant quelque droit ; il ne se sert point des souvenirs du passé pour humilier systématiquement le présent  ; il ne fait point poser les héros de cette époque, mais nous raconte au contraire avec la plus grande sincérité les erreurs, les enfantillages, les petitesses, qui se sont mêlées dès l'abord à cette grande œuvre comme à toute autre : il nous avoue sans mauvaise honte les fautes de ses amis comme les siennes propres, et nous doutons que les hommes et les églises du Réveil, aient jamais été confessés d'une manière plus complète que dans les deux volumes de ses Mémoires.


Quel que soit cependant à ce point de vue-là l'intérêt du livre que nous avons sons les yeux, nous n'aurions peut-être pas songé à en entretenir nos lecteurs, s'il ne présentait encore un intérêt d'un autre genre. Nous y trouvons mieux que de lu théologie ou de l'histoire ecclésiastique, nous y trouvons un homme, chose rare en tout temps comme au temps de Diogène. Les Mémoires de M. Bost nous le livrent tout entier : à travers le récit, nous le voyons penser, agir, vivre en un mot, comme on voit travailler l'abeille dans ces ruches de verre imaginées par les observateurs. Essayons de donner en quelques mois une idée du livre ou de l'homme, — c'est tout un.


Ce qui nous paraît avant tout caractériser M. Bost, c'est le côté essentiellement pratique de son caractère. Cosmopolite par bien des endroits, il est par ce trait-là vraiment français. La distance n'est pus grande chez lui du cœur à la main. de la pensée à l'exécution. Il n'a jamais, comme nous autres, laissé une pensée naître, grandir et mourir stérile au dedans de lui : penser, dire, agir, ne sont pour lui que trois instants d'un même acte. C'est là une faculté rare et inappréciable : où d'autres n'ont amassé que des réflexions, M. Bost a recueilli des expériences En voici un exemple qui nous paraît assez frappant : dans les premiers temps de sa ferveur missionnaire, il se persuade qu'il doit renoncer absolument à toute occupation étrangère au grand but qu'il se propose : en conséquence, il vend son piano et jette ses livres, s'interdisant même, nous, dit-il, de lire l'Écriture-Sainte dans les langues originales. Fanatisme ! ignorantisme ! s'écriera-t-on. Cela peut être, et M. Bost est arrivé lui-même quelques années plus tard à reconnaître qu'il s'était trompé, « et qu'il y avait toujours dans la vie du missionnaire ou du pasteur le plus actif, de nombreux moments disponibles qui, s'ils n'étaient occupés au travail religieux, pouvaient être voués au noble et innocent amusement de l'étude, pour n'être pas encore beaucoup plus mal employés.  » Il racheta donc un piano, et reprit son Nouveau-Testament grec et même son Horace, en toute sûreté de conscience. Combien d'autres ont eu le même scrupule et n'ont jamais eu le courage d'y céder ! On va, on va, ne voulant renoncer à rien de ce que l'on aime, prolongeant la délibération pour reculer la décision, réfléchissant au lieu d'agir, ne vivant pas, mais attendant de vivre : de cette manière on ne sort pas du clair-obscur, et l'on arrive au bout sans avoir vidé aucune question, car il n'en est guère qui se laisse résoudre autrement que par la pratique.


Avec celle disposition, M. Bost a été et devait être nécessairement missionnaire. Croire à l'Évangile et le prêcher, ne pouvait être pour lui qu'une seule et même chose. Placé d'abord comme suffragant à Moutiers-Grandval dans le canton de Berne, il ne put y rester longtemps : la vie facile et monotone d'un vicaire de campagne, les entraves qu'avait à supporter sa prédication de la part de son patron, s'accordaient mal avec son besoin d'activité et ses allures indépendantes. » Je m'élançai, nous dit-il, vers la grande » et libre carrière missionnaire, libre pour celui du moins qui sait » prendre la liberté et non la demander. » Il entreprend une mission continentale, en Suisse d'abord, puis en Alsace et en Allemagne : il va de lieu en lien, prêchant en temps et hors de temps, à travers les souffrances de la pauvreté et les doutes intérieurs, tantôt fraternisant avec d'humbles curés catholiques, tantôt attaquant de hauts prélats protestants. Les autorités alsaciennes s'alarment et l'expulsent, les gouvernements de Hesse, de Francfort et de Baden, suivent à l'envi cet exemple, et M. Bost se voit forcé de revenir à Genève.


N'oublions pas de mentionner un épisode intéressant qui se rattache à cette partie de sa carrière. C'est son premier voyage en Angleterre où il avait été appelé par la Société continentale de laquelle il dépendait, « et qui désirait faire une exhibition d'un de ses agents, afin de se procurer ainsi plus abondamment les fonds nécessaires à son œuvre. » M. Bost se soumettait, par la nécessité des choses, à l'obligation de prêcher l'Évangile comme agent d'une société, mais il s'était fait un autre idéal du missionnaire, et aurait voulu voir l'évangélisation s'opérer à moins grand renfort de secours purement humains : tout ce qui tendait à ériger cette œuvre de foi en affaire de bureaux et d'administration répugnait à sa nature indépendante et à son sens esthétique aussi bien qu'à son sens chrétien. À Bâle déjà, il avait éprouvé une impression de désappointement, en voyant des portraits de missionnaires en habits noirs et en cravates blanches, comme des clercs de chancellerie. Il souriait en trouvant à Genève dans l'antichambre de M. Drummond des caisses de Bibles entassées. « Il faut aussi de ces choses, » lui faisait observer M. Gonthier avec sa douceur et sa sagesse ordinaires, mais notre jeune missionnaire se disait néanmoins que la vraie évangélisation, celle que Jésus-Christ a instituée, « est une démonstration d'esprit et de puissance, et que l'on ne fait pas venir ces choses-là par caisses et par le roulage. » Revenons à son voyage en Angleterre. Avant de partir, il avait appris l'anglais en six semaines, et sans maitre, au moyen d'un Nouveau-Testament : il s'arrêta quelques semaines à Londres, puis on lui donna un collègue anglais « qui devait le guider, l'introduire et le montrer, » et il commença ses prédications itinérantes. « C'est à Colchester, nous dit-il, que je fis à cet égard mes premières armes : et j'y jouai, pour un court moment, un rôle désagréablement comique. — J'eus à peine, du haut d'une tribune, prononcé quelques mois en mon misérable anglais, qu'une révolte éclate dans mon auditoire : je le crus du moins, et j'en fus pieusement épouvanté. Le plancher tremble, des coups de canne par terre, des coups de poing sur les balustrades grondent de toute part : je me retourne effaré vers mon mentor, en lui demandant quelle faute affreuse j'avais commise. Il me dit que ce n'est rien : Go on, go on ! mais je crois qu'il veut me consoler, et j'insiste : J'ai dit quelque abomination ? — Non me dit-il, allez donc ! ils vous applaudissent ! — Je respirai : mais j'avais commencé par une belle peur. Bon John Bull ! Tu es gros et fort jusque dans tes amours et dans ta joie : et, quand tu veux filer, tu casses les fuseaux !


« On me promena donc, continua M. Bost, à travers une bonne partie de l'Angleterre. À cette époque c'était encore le bon temps, pour celui qui aurait eu du plaisir à se montrer. A foreign minister ! c'était alors une rareté. En arrivant dans une » ville j'y voyais, à ma grande stupéfaction, mon nom affiché sur tous les murs : il est vrai que les mots of Geneva étaient déjà à eux seuls une puissante recommandation. Système d'estrades et de tribunes, mais un peu charlatan, qui convie non seulement les hommes pieux, mais tout le monde, à venir, non se convertir, mais s'occuper du règne de Dieu par guinées et par livres sterlings. Je n'ai jamais bien su y entrer : et à cette époque surtout, je manquais peut-être même, sur ce point, d'un peu de bon sens. Dès que la Société voulait de l'argent, je devais chercher à intéresser mes auditeurs à elle et à sa cause. Au lieu de cela, je suivais ma venelle du réveil du continent, et je prêchais à mes auditeurs la conversion. Plus d'une fois mon » collègue anglais m'a poussé par le coude en me disant : Money, money, speak of money : mais je lui laissais toujours cette tâche, ne connaissant de la langue anglaise que le langage religieux, puisque, comme on l'a vu, je n'avais appris cette langue que dans ma Bible, qui ne met pas tant de prix à l'argent. »


Exclu de la France et de l'Allemagne, M. Bost revint à Genève. Ici commence, dans cette vie si remplie, une période de fixité relative qui n'est interrompue que par quelques petits voyages et une mission en Suisse et en Italie. Cette partie des Mémoires n'est pas moins piquante que la précédente : elle contient, par exemple, un chapitre sur M. Malan, qui ne plaira probablement ni à ses amis ni à ses ennemis, mais qui fait connaître, d'une manière assez complète, le célèbre représentant du néo-calvinisme : c'est une appréciation très subjective et pourtant très impartiale, comme M. Bost sait les faire. M. Bost était déjà revenu dans sa ville natale en 1819, après sa première mission, et avait rompu avec le clergé national, en publiant sa Genève religieuse, qui fut le premier manifeste de la jeune église militante contre l'église régnante. Sa nouvelle lutte contre l'église nationale à l'occasion de sa Défense des fidèles, son procès, ses démêlés avec les dissidents du Bourg-de-Four dont il fut quelque temps pasteur, sa rentrée dans l'église nationale sont des faits d'un haut intérêt et qui nous font pénétrer assez avant dans l'esprit de la Genève religieuse d'il y a vingt ans. Au milieu de ces débats, et tout en écrivant des traités de controverse et des livres d'histoire ecclésiastique, il ne se ralentissait point dans son activité de prédicateur : à Carouge, pendant deux ans, il faisait huit prédications par dimanche : véritables excès, M. Bost en convient lui-même : mais ces excès caractérisent un homme et surtout une époque.


Mais une nouvelle mission commença pour M. Bost en 1843 : car on peut appeler de ce nom le temps où il fut pasteur en France : il ne larda pas à entrer en conflit avec l'église romaine : les conférences qu'il tint à Melun et à Fontainebleau attiraient en foule les catholiques. Aumônier de la prison de Melun, il fut témoin des traitements odieux exercés contre les détenus par les Frères de la Doctrine chrétienne, chargés de la direction de rétablissement : il éleva sa voix en faveur de leurs malheureuses victimes : mais son cri ne trouva pas de réponse, et n'éveilla pas même d'écho : aucun journal, religieux ou autre, ne vint appuyer ses généreuses réclamations. Préoccupés d'intérêts d'église ou de partis, ils n'eurent pas le temps de songer à une question de simple humanité. Quant au gouvernement, trop hypocritement libéral pour se débarrasser de M. Bost par une expulsion, comme l'avait fait vingt ans auparavant le gouvernement de la Restauration, il eut recours à un autre moyen, et se contenta de supprimer la charge d'aumônier de la Maison centrale de Melun.


Comme on le voit par cette rapide analyse, la vie de M. Bost n'a été qu'une série de combats. Combattant valeureux mais indisciplinable, il a pu quelquefois paraitre changer de camp, quand en réalité il ne faisait que changer de position. Il a redressé des torts à droite et à gauche, sans faire acception de personnes. C'est un beau rôle, ce nous semble, et qui nous inspire non-seulement du respect, mais encore de la sympathie. Quand il quitta pour la première fois Genève pour se rendre à Moutiers-Grandval, son père, homme simple et paisible, habitué à la piété peu agressive des Frères moraves, vint lui faire ses recommandations et insista sur la douceur et la modération dont il aurait besoin dans ses nouvelles fonctions. « Il ne faudra pas, » lui dit-il, en se servant d'une de ses expressions favorites, « il ne faudra pas casser les vitres. — Je les casserai toutes, » répondit l'impétueux jeune homme. M. Bost regretta plus tard avec larmes la dureté de celle réponse, et nous ne voulons point la justifier. Ce n'est pas d'avoir dit ce mot que nous le félicitons, c'est de l'avoir réalisé. Que de bouffées d'air vicié, que de miasmes étouffants se sont échappés par ces vitres cassées ! Quels rayons de lumière vivifiante, quelle atmosphère salubre entre par de telles brèches dans le vieil édifice ecclésiastique et social ! Les idées franches et hardies de M. Bost sur l'église et sur les sacrements, par exemple, ses jugements indépendants sur les hommes du Réveil, réjouissent l'intelligence, comme aurait dit M. Vinet. Ses efforts inutiles et persévérants eu faveur des prisonniers de Melun réjouissent ce sentiment de justice qui est au-dedans de chacun de nous, que notre lâcheté endort si aisément, et qui s'éveille avec tant de joie quand il est évoqué par de généreux exemples.


Dans un caractère aussi énergiquement trempé, dans une vie dirigée toujours vers un seul but, et réglée par des doctrines austères, on pourrait s'attendre à trouver quelque chose de raide et de tendu : mais il n'en est rien : grâce à Dieu, M. Bost n'a jamais confondu le sérieux avec la gravité, qui n'en est que la grimace. Son livre est sérieux d'un bout à l'autre, mais le sérieux n'en exclut pas le naturel, l'abandon, la grâce et même l'enjouement. La solennité, les rabats et les bonnets carrés, lui sont choses antipathiques : « Je ne suis pas sujet au fou-rire, dit-il, et je ne crois pas y être tombé une seule fois en ma vie : mais si quelque chose pouvait m'en donner la tentation, ce seraient les prétentions sacerdotales et les airs grand-pontife. Dès qu'un homme se redresse à laisser pendre son habit aux épaules, il perd sur moi tout ascendant. » — « Je ne pense pas, dit-il ailleurs, que notre vie doive rester toujours dans le pianissimo, encore bien moins, beaucoup moins dans le maestoso de quelques-uns. »


La combativité, qui est le trait le plus saillant de ce caractère, est d'ailleurs bien loin d'en être un trait exclusif et prédominant : « J'aurais été soldat, si je n'étais poète, » a dit l'auteur des Odes et Ballades [1] : M. Bost est l'un et l'autre : il a raffolé de Gessner [2] dans sa jeunesse, et a conservé pour Virgile une sorte de tendresse et de respect passionné qui dénote une parenté intérieure. Dans ses années les plus agitées, au milieu des luttes sans cesse renouvelées dont nous avons parlé, il se délassait à mettre en musique les cantiques du Voyage du chrétien [3] ou quelqu'une des admirables strophes de l'Imitation de Corneille [4]. Une autre fois, deux vers de Virgile, qui lui revenaient tout à coup en mémoire, le berçaient de leur indéfinissable harmonie et lui faisaient oublier la rabies theologorum [5]. Quand il rentrait fatigué et à bout de ses forces, une répartie naïve, un sourire d'enfant lui rendaient la confiance et la gaieté. Son livre est rempli d'histoires d'enfants racontées avec tant de charme que, pour notre part, nous en voudrions encore davantage.


M. Bost aime les enfants, comme il aime tout ce qui est simple, humble et naturel, comme il aime les pauvres et les petits, car il a été pauvre lui-même : « À cette époque, dit-il en parlant du temps qu'il passa à Strasbourg, je n'osai acheter, pour la somme d'un sou, un vase en terre dans lequel j'aurais tant voulu mettre un de ces œillets sauvages que j'ai toujours si vivement aimés depuis mon séjour à Neuwied et que j'avais trouvé dans les environs. — Enfin nous entendions quelquefois jouer sous nos fenêtres des pendules à musique et à marionnettes que nous aurions beaucoup désiré montrer à nos enfants et voir nous-mêmes : et plus d'une fois nous nous refusâmes ce plaisir, toujours à cause du sou qu'il aurait fallu donner pour cela ! Ce fait me reste bien gravé dans la mémoire : car je me rappelle même, et je joue quelquefois, avec un sentiment douloureux, quelques uns de ces airs. » — « J'assistai, dit-il plus loin, à l'une des nombreuses fêtes de l'église des Frères et j'y trouvai trop d'éclat pour les yeux : toutes les jeunes filles étaient en robes blanches, avec des rubans roses : la salle était dans le même style : bref, tout était beau, sauf un point : il manquait, à cette fête, des pauvres et de la pauvreté. » Celle note douce et attendrie se fait entendre d'un bout à l'autre des Mémoire à côté de tons plus bruyants : c'est cette union, ou, si l'on veut, ce contraste de la douceur et de la force, qui fait le charme particulier du livre :

Et duræ quercus sudabunt roscida mella. [6]


Il est encore un autre mérite qui assurera le succès de cet ouvrage, c'est le remarquable talent d'écrivain que possède l'auteur : toujours simple et facile, son style est empreint d'une originalité et d'une hardiesse peu communes : son langage ne traduit pas sa pensée, il la laisse voir comme à travers un vêtement transparent. Il n'y a dans sa manière ni hésitation ni tâtonnement, il ne cherche jamais bien loin ses expressions, et les trouve toujours, justes, vives et frappantes tout à la fois. Son horreur pour la rhétorique suffirait du reste pour prouver la délicatesse de son sens littéraire : son amour pour Virgile en fournil une autre preuve irrécusable. Nous avons vu jadis quelques pages de lui à ce sujet, qui sont à notre gré au nombre des meilleures et des plus senties que le divin poète ait jamais inspirées, et nous espérons bien les retrouver dans le volume supplémentaire qui n'a pas encore paru, et auquel les deux premiers font quelquefois allusion.


Comme nous l'avions annoncé en commençant, nous n'avons guère parlé que de l'homme, nous ne nous sommes pas occupés du grand mouvement religieux dont il a été un des plus puissants organes. Nous ne pouvons finir cependant sans nous demander ce que c'était que le Réveil. Au premier abord, les Mémoires de M. Bost, loin de simplifier cette question, semblent la rendre plus difficile encore. Nous y voyons tant de divergences, tant d'opinions qui se heurtent et se contredisent au sein des églises nées de ce mouvement, qu'il est impossible de préciser nettement quelle est la doctrine qui lui sert de base. Chez les uns nous trouvons la doctrine calviniste de la prédestination poussée jusqu'à l'antinomianisme : chez d'autres, le retour à l'ascétisme chrétien et à l'austérité de la vie. Ici l'on s'attache avec un scrupule extrême à la lettre de l'Écriture, là on tend à substituer la liberté mystique à l'autorité de la Parole. Lès uns revendiquent la séparation complète de l'Église et de l'État : d'autres, quoique dissidents, soutiennent qu'un état ne peut avoir qu'une église. Le Pré-l'Évêque déclare hérétiques les doctrines du Bourg-de-Four, et tous deux ensemble mettent à l'interdit la petite église fondée par M. Bost. C'est que le Réveil n'est pas la restauration d'un principe ou d'une doctrine, c'est un réveil de la vie, de la vie avec ses combats et ses orages, ses exubérances et ses maladies. Aucune doctrine, aucun principe ne rendra jamais la vie à une église. Pareille aux aromates des embaumeurs, l'orthodoxie pourra éloigner d'un cadavre la décomposition, et lui conserver la dignité et l'aspect auguste de la mort : elle ne lui dira jamais : « Lève-toi et marche ». Les hommes font des restaurations : l'esprit de Dieu seul produit des réveils.



Revue suisse

Mémoires pouvant servir à l'histoire du réveil religieux des Églises protestantes de la Suisse et de la France et à l'intelligence des principales questions théologiques et ecclésiastiques du jour, par Ami Bost (1854) : I & II - III (supplément)

extraits des Mémoires d'Ami Bost



Notes

1- « J'aurais été soldat, si je n'étais poète », Victor Hugo, Odes et Ballades (1826)

2- Idylles et poëmes champêtres de Salomon Gessner (1762) & Œuvres de Salomon Gessner (1799) : I & II - III - IV

3- Le voyage du chrétien vers l'éternité bienheureuse, où l'on voit représentés, sous diverses images, les différents états, les progrès et l'heureuse fin d'une âme chrétienne, par John Bunyan (1869, édition illustrée)

4- L'imitation de Jésus-Christ, traduite & paraphrasée en vers françois, par Pierre Corneille (1657)

5- rabies theologorum : la rage des théologiens.

6- Et duræ quercus sudabunt roscida mella : Et le miel formé par la rosée coulera de l'écorce des chênes, Pastorales de Virgile (édition de 1796)

Ami Bost : photographies & gravures

Revue de théologie et de philosophie de la Société suisse des sciences humaines : nécrologie d'Ami Bost (1875)

Encyclopédie des sciences religieuses (1877) : Ami Bost

Larousse du XIXe siècle : Ami Bost

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