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John Bost
par Alexandre Westphal

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photo John Bost

John Bost et sa cité prophétique
par le pasteur Alexandre Westphal (1937)
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Extraits


Les origines

Le nom de Bost apparaît dans l'histoire aux premiers temps de l'Église du désert, porté par des huguenots du Dauphiné qui avaient fait le sacrifice de leurs biens et de leur patrie plutôt que de renoncer leur foi.


L'ancêtre de John Bost, Jean-Laurent Bost, fils de Jean Bost, de Beaumont-lès-Valence, s'échappa vers 1720, caché, dit Ami Bost, dans un char de fumier. Il parvint à gagner Genève, la forteresse du Refuge.

Bost se prononçait alors , comme on le voit par l'acte de baptême de François-Laurent [1], né le 21 avril 1733, où le scribe, trompé par la phonétique, inscrivit : « François-Laurent Beau, fils de Jean-Laurent Beau » !

Au foyer d'Ami Bost

Grand remueur d'idée, de tempérament belliqueux et mystique, servi par une parole incisive, quelquefois cinglante, cet homme de l'Esprit excellait à défricher les champs du Seigneur plutôt qu'à s'attarder dans une paroisse.


Les années 1825-26 sont pour lui des années capitales. Il prend la défense des « révivalistes » que le clergé national combattait et traitait de sectaires, proclame que les vraies communautés chrétiennes sont celles qui suivent la voie droite de l'Évangile, et renvoi le nom de « secte » à l'Église officielle genevoise qui a ouvert ses portes à l'arianisme.


Ami Bost est un des chefs incontestés du Réveil, sans partager toutefois l'étroitesse théologique de ses émules.


Né le 4 mars 1817, à Moutier-Grandval, où son père était suffragant, John avait fait dans la vie un début hasardeux. En effet, sa mère, affaiblie par la disette qui sévissait cette année-là dans la région - il arrivait aux Bost de ne manger du pain qu'une fois par jour - ne put le nourrir comme son frère aîné et dut l'élever à la bouteille, comme elle put, quêtant de ci de là un lait devenu rare.

Vers douze ans, nous retrouvons John au collège de Genève. Il y travaillait avec succès. L'étude était sa passion. Une fièvre cérébrale l'arrêta. Il fallait vivre ! On le plaça comme apprenti chez le relieur Maertz.

Musicien comme son père et son grand-père, John avait consacré tous ses moments de liberté à apprendre le piano, à racler du violoncelle : son âme d'artiste s'éveillait. le célèbre musicien Franz Listz était alors à Genève : John Bost, un jour, fut chargé de lui apporter un cahier de musique que son patron avait relié. Le maestro était absent, mais le piano était là, ouvert, irrésistible. L'ouvrier relieur s'assit au chevet et joua… Tout à coup, une main se posa sur son épaule, c'était Listz ! « Bien, bien, jeune homme, vous avez du talent, il faut travailler : si vous voulez, je serai votre maître. » John Bost accepta avec ravissement. Et le voilà lancé dans la vie de concerts.


C'est à cette époque, en juin 1835, que des amis chrétiens de Nyon, chez qui il avait fait, deux ans auparavant, un long séjour de convalescence, persuadèrent John de renoncer au métier de relieur qui ne lui convenait point et d'embrasser la carrière de musicien. Il avait déjà voulu y entrer, mais son père s'y était opposé. cette fois, on le laissa libre. Il abandonna tout pour se livrer à l'art dans lequel il était convaincu d'avoir trouvé sa vocation.

Artiste ou apôtre ?

Arrivé à Paris, John s'était mis au service du pasteur Louis Meyer qui l'avait embrigadé dans une Société d'amis des pauvres. Ardent comme toujours, il avait pris contact avec la misère sous toutes ses formes. Aux rares heures de liberté que lui laissait sa vie d'artiste, il visite les hôpitaux. Là, il reçoit des confidences. Il est bouleversé par le cri d'une jeune fille qui se précipite à ses pieds en s'écriant : « sauvez-moi ! » La musique et la charité commencent à entrer en conflit et à se disputer son âme.

« Un soir, raconte John Bost, j'étais au théâtre, j'écoutais le Domino noir : tout à coup, en pleine représentation, les leçons de la maison paternelle se sont présentées à mon esprit, une voix me disait : « si tu venais à mourir ici, où irais-tu ? » Sur le champ je quittai la salle. Rentré dans ma chambre, je passai le reste de la nuit en larmes et en prières. Au matin, je me relevai, j'avais la paix. »

John Bost abandonna alors sa carrière d'artiste : « Adieu, musique du diable ! » écrit-il un jour avant de reprendre des études qui lui permettraient de se mettre à la disposition de Dieu.


L'appel de la souffrance se fait entendre, toujours plus impétueux. En Irlande, il devient l'ami des prisonniers. Il écrivit à son frère Élisée : « De Londres, j'aurais bien envie d'aller voir nos nègres d'Amérique. Il faut à tout prix l'abolition de l'esclavage. Que faire pour donner à l'Évangile son côté pratique appliqué aux masses ? Le problème du soulagement des masses me préoccupe sans cesse. »


Il avait compris que le devoir du vrai disciple de Jésus Christ est, non seulement de chercher à sauver les âmes, mais de soulager l'état matériel de ce qu'on appelait jadis les basses classes.


En 1841, John Bost entre au collège de Sainte-Foy pour se préparer au baccalauréat. À son âge, c'était courageux. Au bout de deux ans, de violents maux de tête l'empêchèrent d'atteindre son but.


Le Réveil commençait alors à secouer les églises de la vallée de la Dordogne. Le jeune Bost, pendant son séjour à Sainte-Foy, tint des réunions dans le pays, notamment à La Force. C'est ainsi qu'il se fit connaître et aimer dans ce milieu de cultivateurs protestants, dont il devint plus tard le pasteur et l'animateur.


En 1843, sur le conseil de quelques amis, John Bost se rend à la faculté de Montauban [2] pour se préparer de son mieux au ministère évangélique. Il se croyait au port… Mais Dieu avait des vues sur son âme d'artiste et le rejeta dans la lutte, où, par une série de chefs-d'œuvre, John Bost allait faire jaillir de son génie toutes les symphonies de la charité.


Enrôlé comme moniteur dans une salle d'asile montalbanaise que dirigeait le professeur Jalaguier, il remarqua un jour l'absence d'une de ses élèves. Il se rend dans la rue mal famée qu'elle habite : « Ah ! Monsieur, disent les malheureuses voisines, vous faites bien de sauver cette petite ; si nous avions été, nous aussi, entourées et protégées, nous ne serions pas tombées si bas ! »


John Bost s'attache à cette infortunée. Avec l'aide de Mesdames Babut et Adolphe Monod, il la tire du bourbier qui commençait à l'engloutir, et, gardant au fond des yeux la vision de la pourrissoire à laquelle il a dû l'arracher, comme aucun orphelinat n'était autorisé par ses règlements à recevoir une fille de cette sorte, John Bost conçut le projet qu'il eût été fou, s'il n'eût été génial, de créer pour la misère physique et morale le suprême refuge qui n'existait pas.


« Ceux que tous repoussent, je les recevrai au nom de mon Maître » résolut John Bost. À ce moment, il était sans situation, sans expérience et possédait pour toute fortune 18 francs. Mais il avait pour lui trois choses : sa compassion inépuisable, sa volonté opiniâtre, et l'audace de la foi. Dieu devait lui fournir le reste sur le plateau de La Force.

L'appel de La Force

La paroisse évangélique de La Force avait été, jusqu'en 1843, l'une des quatre annexes de l'église de Bergerac. Travaillés par l'Esprit de Dieu, les protestants de La Force demandèrent la création d'un poste de pasteur dans leur village.


L'Église Réformée était considérée comme trop rationaliste pour les habitants de La Force qui ne voulait pas de ses pasteurs. Ils entrèrent alors en dissidence et exigeait un pasteur évangélique. Ils se tournèrent alors vers John Bost dont ils avaient apprécié les idées.


John Bost débarque alors à La Force. Il est logé auprès d'une famille de paroissiens, les Ponterie, dont la fille deviendra plus tard son épouse. Il prêcha dans leur propriété, le consistoire lui refusant l'usage du temple.


Puis les habitants bâtissent un nouveau temple, sur l'éminence qui domine le village de La Force, non loin des ruines du château de Caumont-La Force.

La création des asiles
« Je voudrais, qu'attenant au temple, il y eût une maison avec les mêmes fondations : cette maison serait destinée à recueillir ces jeunes filles, à les placer sous une influence chrétienne et à leur donner une bonne éducation avec l'habitude du travail, afin qu'elles puissent gagner honnêtement leur vie, comme cuisinières, bonnes, filles de chambre… »

John Bost, dans ses tournées en Grande-Bretagne, sut tirer parti de ces paysans harassés par la fatigue de la journée et partant à minuit, avec leurs bœufs et leurs chars, pour le travail de Dieu. Qui saura jamais combien de livres sterling valut au fondateur des Asiles l'aiguillon des bouviers de la Dordogne.


Le 24 mai 1848, s'ouvrit modestement la maison hospitalière. Ses premières pensionnaires furent les deux orphelines dont l'infortune avait ému le cœur de l'étudiant de Montauban.


L'inauguration de La Famille fut présidée par le pasteur Frédéric Monod. On la fit concorder avec une fête donnée aux bouviers, en souvenir des services rendus à La Famille pour le transport des matériaux.


John Bost avait 31 ans…

C'était « l'épopée » des Asiles de La Force qui commençait.


On n'avait pas attendu que le bâtiment fût sorti de terre pour solliciter du jeune directeur l'entrée à La Famille de toutes sortes d'indésirables.


John Bost entreprit de les élever, en se servant de la musique comme véhicule de sa pensée. C'est là que se révéla, dans la fertilité et le succès des moyens employés, son génie de pédagogue.


Peu à peu arrivèrent des orphelines incurables, aveugles, sourdes-muettes, phtisiques… Le presbytère regorgeait… John Bost alla plaider à Paris la cause de toutes ces créatures chétives, malades, informes, alors sans asile, mais en qui un inlassable dévouement pouvait rallumer une étincelle d'intelligence, de bonheur, de vie spirituelle.


John Bost peut alors construire Béthesda, résidence inaugurée en 1855.

Alors commença, là, une vie étonnante, inimaginable, pour qui n'a jamais visité Béthesda, vie presque surnaturelle où chaque jour s'affrontent et s'étreignent, dans des combats d'une variété infinie, le démon de la misère et l'ange de la charité.


Vint le tour des garçons.


De toutes parts, on sollicitait John Bost. Un pauvre enfant de Nîmes, atteint de la danse de Saint-Guy, paralysé, infortuné petit marchand d'allumettes, traque par la police suppliait : « Les garçons ne valent-ils pas les filles ? » cria-t-il un jour en sanglotant.


John Bost décide alors de fonder Siloé.



En 1861, John Bost a 44 ans. Il épouse celle à qui son cœur était fiancé depuis la fondation du premier Asile : Eugénie Ponterie. Elle l'attendait. Certes, M. Ponterie aimait son pasteur et l'admirait, mais il en redoutait l'activité dévorante et hésitait à donner Eugénie au grand berger de la souffrance. Avant de mourir, il céda. Les noces furent célébrées le 2 juillet 1861.


C'est cette année-là, que Listz, le plus heureux et le plus adulé des musiciens, apprit à Weimar que son ancien élève Bost avait abandonné la musique pour devenir pasteur et consacrer sa vie à créer et à diriger des Asiles de charité : « Eh bien ! s'écria l'illustre compositeur, il a fait ce qu'il y a de mieux à faire », puis, se reprenant : « Il a fait ce qu'il y a à faire. »


À ce moment, la vision des épileptiques obsédait la cœur de John Bost. Il en venait, d'autres se révélaient sur place. On ne pouvait ni renvoyer les uns, ni laisser les autres en contact avec les malades…

John Bost décida alors la création de l'asile Ében-Hézer. Il raconte :

« Je partis ensuite pour Paris, sachant que des épreuves m'y attendaient. Une réunion publique avait été convoquée dans le temple de la Rédemption. Après avoir rendu compte de la marche des Asiles : La Famille, Béthesda, Siloé, je risquai : « Je vous annonce la fondation d'un nouvel Asile ! » À ce moment, les messieurs prirent leurs chapeaux, les dames se levèrent, et j'allais me trouver seul avec mon Ében-Hézer dans le cœur. D'une voix troublante d'émotion, je m'écriai : « C'est pour les orphelins épileptiques ! Pitié pour les épileptiques ! » On m'a dit depuis que j'avais prononcé ce mot épileptiques avec un tel accent de douleur et de sympathie que personne n'osa bouger. En effet, l'auditoire reprit sa place. »


En 1866 John Bost tombe si malade que les amis qui le soutiennent dans son œuvre doivent accepter, pendant quelque temps, de le remplacer à la direction des Asiles.


À quelqu'un qui disait avec béatitude : « comme vous devez être heureux quand vous contemplez votre œuvre ! », il répondit : « Mon ami, je ne regarde pas à ce que j'ai fait, mais à ce que j'ai à faire. »

Le couronnement

John Bost, en bâtissant son premier sanctuaire, à l'aile orientale de La Famille évangélique, avait dit à son Église qui s'était tant dépensée à cette construction : « Si la maison destinée à La Famille devient insuffisante, je me réserve de prendre le Temple et de vous en donner un nouveau. »


Le moment était venu de tenir la promesse. Il fit alors ériger le temple des Asiles d'après ses propres plans.


Tandis qu'auparavant, les Asiles étaient les hôtes de l'Église, maintenant c'étaient les Asiles qui ouvraient leur temple aux protestants évangéliques de la Force. Là encore, c'était, dans la pensée de John Bost, l'Église qui accueillait les déshérités parmi les frères.


John Bost avait créé son temple pour les Asiles, mais il l'avait conçu de façon que tous les chrétiens du village de La Force pussent s'y sentir chez eux.


Avec ses cinq asiles et son Temple, l'œuvre de John Bost était arrivée, en moins de vingt ans, à son plein épanouissement. Non seulement pour les Églises de France, mais pour bien des pays d'Europe, même en dehors des milieux religieux, La Force était désormais la terre bénie de la Charité.


Piétiste par la foi, libriste par les circonstances, John Bost n'était pas un dissident : sa grande âme était aux besoins de la multitude qui venait à lui.


« Après avoir glorifié son Chef, son Sauveur, l'Église sera glorifiée à son tour. Elle se reposera de ses travaux et ses œuvres la suivront. »

La fin de l'épopée
Rassemblant ce qui lui restait de forces, John Bost se rendit, en octobre 1881, à Paris, où l'appelaient l'intérêt des Asiles et l'éducation de ses enfants. Il comptait être de retour à La Force le 10 novembre pour accueillir Ernest Rayroux… [3] Il prit mal, il s'alita : très vite la congestion pulmonaire se fit envahissante.


Son frère Augustin raconte : « La nuit du 30 octobre au 1er novembre fut relativement calme ; mais à à 4 heures du matin, il se réveilla brusquement, sortit du lit et se jeta sur un fauteuil, paraissant chercher quelqu'un du regard. Sa famille, appelée en hâte, arriva bientôt ; c'était ce qu'il cherchait ; il était content d'avoir été deviné ; il regarda tour à tour fixement son fils, ses filles, sa femme, comme pour leur laisser un dernier souvenir, puis il baissa la tête. Ce noble cœur avait cessé de battre. »


Ainsi mourut John Bost, à 64 ans.

Les établissements orphelins le pleurèrent sentant, comme autrefois le Christ, qu'une vertu s'était échappée de leur sein… Puis ils continuèrent leur vie avec leurs cinq cents pensionnaires, sous la direction fidèle d'Ernest Rayroux.



Alexandre Westphal
Alexandre Westphal
John Bost et sa cité prophétique
1937
Notes :

1- François-Laurent Bost est fils de Jean-Laurent et arrière grand-père de John Bost

2- Voir Musée protestant : La faculté de théologie protestante de Montauban (1809-1919)

3- Ernest Rayroux est le successeur de John Bost à la direction des Asiles.



Alexandre Westphal (1861-1951) est aussi l'auteur de :

Les principes de l'éducation protestante (1926)

À propos de ce que « les huguenots avaient compris » (page 26) :

« Les hommes sont menés non par des idées mais par des personnes. L'idée est une lumière qui devient une flamme quand elle passe par un cœur humain. Que ce cœur s'empare du nôtre, l'idée qu'il incarne fond nos résistances, embrasse notre zèle, devient en nous un foyer d'énergie. »

« Les éducateurs protestants n'ont pas raisonné, ils ont mis les hommes en présence de Jésus Christ. »

John Bost : index des documents

portraits de John Bost

La Force



L'Église chrétienne considérée comme Asile de la souffrance : thèse de John Bost présentée à la faculté de théologie de Montauban (1880)

Notice historique de la fondation des Asiles de Laforce par John Bost

Origines des Asiles de Laforce par John Bost (1878) texte manuscrit

Asiles de Laforce en 1878 : liste des bâtiments & résidents

La Famille - Béthesda - Ében-Hézer - Siloé - Béthel - Le Repos - La Retraite - La Miséricorde

Le temple des Asiles


Les Asiles John Bost par Henriette Guizot de Witt, Revue Suisse (1889)

Souvenirs par son frère Élisée Bost (1898)

Discours du pasteur Adolphe des Gouttes (1924)

John Bost, le fondateur des Asiles de Laforce par le pasteur Léon Maury (1925)

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