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Madeleine Charon


(7 octobre 1886 Meynard, Prigonrieux - 24 juillet 1984, Le Repos, La Force)









Madeleine Charon

Madeleine Charon, lors de son 90e anniversaire, en 1976
avec son neveu Pierre Nègre






Madeleine Henriette Sidonie Charon est la fille de François Charon & Leïla Bost
Elle est née le 7 octobre 1886, soit un an après sa sœur Suzanne (née le 8 octobre 1885)
Suzanne & Madeleine sont nées dans la propriété de Meynard


voir les photos des enfants Charon : Madeleine, ses sœurs et son frère



Madeleine Charon est infirmière

Elle a dirigé un dispensaire-école,
de l'Union des femmes de France, de la Croix-Rouge française
32 rue de la Jonquière, Paris 17e

« L'hôpital Suzanne Pérouse a eu une grande activité.
Le départ de Mlle Charon qui dirigeait le dispensaire, a laissé d'unanimes regrets,
mais elle a du reprendre dans le Midi la direction d'œuvres importantes fondées par sa famille. »

(Bulletin de l'Union des femmes de France, Croix-Rouge française, 1937)


Madeleine Charon prend, à 50 ans, la direction du Repos
le 1er octobre 1936,
jusqu'à sa retraite en juin 1971, à l'âge de 84 ans

Madeleine Charon est la petite-fille de John Bost.

Souvenirs du Repos par Madeleine Charon

Lorsque M. de Bethmann vint à Paris en 1934 me demander de prendre la Direction du Repos, j'avoue que je n'y étais pas du tout préparée : je demandais à réfléchir… ce que je fis pendant deux ans. Il me fallait quitter une direction de Croix-Rouge que j'assumais depuis 16 ans. Laisser toute une jeunesse pleine de vie pour me trouver au milieu de dames âgées m'effrayait.


Il me semblait que je n'étais pas faite pour ce genre de travail, ne connaissant pas du tout le troisième âge.


J'avais entendu parler du Repos et connaissais les difficultés que les directrices y avaient eues. J'avais peur d'échouer à mon tour dans ce nouveau travail. On a auprès de soi tant de caractères, d'éducations différentes ! Tout cela me faisait peur d'avance et j'hésitais fort.


Une voix d'En Haut se fit certainement entendre, me montrant que mon devoir était de prendre la relève. Je donnai donc au président du conseil d'administration des Asiles, une réponse favorable et arrivai le 1er octobre 1936 pour prendre ma place au Repos.


Place que je dis tout de suite n'avoir jamais regrettée ayant connu de très grandes joies et beaucoup de facilités.


Il faut dire que j'étais aidée par une personne que ramenais avec moi. C'était une orpheline qui avait été élevée à la Famille, puis avait passé 60 ans chez mes parents.


Une personne de cœur, intelligente, active, organisée, qui, par son caractère ferme et encore très jeune prit tout de suite le cœur de toutes ces dames. Elle les bourrait bien un peu de temps en temps, mais avec le sourire. Je la nomme : Mlle Noëly Pérou.


Au début nous n'avons rien voulu changer des habitudes qui remontaient loin : la salle à manger avec une seule grande table, salon sombre éclairé par deux petites ampoules électriques, lesquelles, pour le culte que l'on fait chaque soir avant le dîner, étaient voilées d'une étoffe violette alors que les dames s'abritaient derrière un écran à main.


J'ai laissé la directrice que j'allais remplacer faire le culte plusieurs fois l'admirant de pouvoir lire dans cette semi-obscurité, la méditation du soir. Mais lorsqu'il a fallu que je la remplace, j'ai donné toute la lumière afin de rendre la pièce vivante. Il y a bien eu quelques protestations qui ont passé !


Le temps de mettre au point bien des changements nécessaires pour le bien de toutes et la guerre a éclaté. La Fondation était désignée pour recevoir les Diaconesses de Strasbourg : deux écoles différentes. Le Repos quoique plein, a eu à loger une quinzaine de personnes âgées avec leurs infirmières diaconesses, ainsi que le conseil d'administration de œuvre et son président.


Une véritable volière. Du monde partout : dans la salle à manger, dans le salon, jusque dans le bout d'un couloir : l'autre bout la secrétaire du directeur tapait à la machine toute la journée. Mais tout le monde s'entendait bien. Pendant cette année-là j'ai célébré le centenaire d'une de mes dames. Une personne distinguée dont le gendre avait dirigé assez longtemps la Casa Velasquez à Madrid. Elle était toute petite, bien menue et mon directeur, le docteur Henry Rey-Lescure nous disait souvent : « Surveillez-la bien ! » Sa fille et sa petite-fille vinrent pour la cérémonie, et malgré les restrictions imposées nous pûmes faire un joli goûter. Cent bougies garnissaient la table formant rampe au milieu des fleurs.


Le président du conseil et Mme de Bethmann vinrent de Bordeaux ainsi que le maire de La Force et une délégation du bureau des Asiles. Notre centenaire, en robe de velours noir avait grande allure. Après les différents discours et une remise de fleurs, elle remercia d'une voix chevrotante. Au bras de M. de Bethmann elle passa dans la salle à manger, alluma les 100 bougies qui faisaient rampe de théâtre. Elle a vécu encore deux mois.


Une année de guerre a passé ainsi, puis nos réfugiés alsaciens sont repartis pour Strasbourg. La dernière animée, alors que la débandade commençait, j'ai eu une grosse émotion. Tel été réveillée par des voix, qui retentissaient sous mes fenêtres et qui disaient : « Wacht, wacht ! » Je bondis et j'aperçois des Allemands à bicyclette qui tournaient autour du Repos, venant du petit bois de Béthesda. Je vais réveiller mon infirmière, ayant vu une sentinelle faire les cent pas devant l'entrée. J'ai compris que c'était le Repos qui était visé. Mon infirmière voulait alerter mes dames. Je m'y suis opposée pensant qu'il valait mieux qu'elles meurent tranquillement dans leur lit si la maison sautait.


Peu après, tous les jardins des Asiles étaient envahis. Comme c'était un dimanche, le directeur nous fit dire de ne pas sortir des pavillons. Alors j'ai fait le culte au salon, porte-fenêtre ouverte sur la terrasse, car il faisait chaud. Nous chantions des cantiques quand je vis cinq ou six Allemands, casquette à la main sur le seuil du salon qui écoutaient le culte sans broncher. J'avoue avoir eu un petit coup au cœur. L'amen terminal prononcé, ils repartaient en silence.


Après ces émotions de guerre surmontées il était temps de se divertir un peu. Des pensionnaires plus jeunes 65-70 ans, avaient succédé à d'autres dames parties pour leur « dernier Repos ». L'une avait été professeur de diction à Bergerac, une autre violoniste dans un orchestre, une autre institutrice qui récitait à ravir les fables de La Fontaine. Elles eurent l'idée d'animer la fête de Noël en jouant la comédie, aidées de Mr M. Cazalis, à ce moment-là architecte aux Asiles. Ce fut une réussite complète, et tout le salon ne fut qu'un éclat de rire.


En arrivant au Repos j'avais été surprise de voir le long des couloirs des petites clochettes correspondant aux numéros des chambres. Elles étaient là pour l'appel des dames en cas de maladie… Il m'était arrivé d'être réveillée par une petite cloche : le temps de me précipiter, le battant ne vibrait plus, en sorte qu'il fallait passer de chambre en chambre réveillant toutes les dames avant d'arriver à la malade. C'était même un danger. Alors ne pouvant pas demander une dépense supplémentaire pour en avoir d'électriques, ces dames eurent l'idée de faire une matinée-concert payant. Leur programme comprenait : une comédie, des récitations et morceaux de violon.


Ce fut un succès. Des amis du dehors avaient répondu à nos invitations. Il y avait aussi un buffet payant, un comptoir d'objets faits au Repos ou donnés. Un industriel de Limoges nous avait envoyé quatre paires de chaussures — à ce moment-là on n'en avait qu'avec des tickets. Si bien qu'à la fin de la journée nous avions la somme de 40 000 francs et les sonnettes électriques quelques jours après. Quand je pense à tous ceux qui m'ont aidée je ne peux avoir envers eux que des sentiments de profonde reconnaissance.


À côté des joies saines que nous avons eues il y a eu aussi bien des chagrins. Nous avons vu partir les unes après les autres celles qui avaient leur place au milieu de nous. Il fallait apprendre aussi à certaines pensionnaires des morts arrivées dans leur famille. L'une d'elles a perdu subitement sa fille, venue quelques jours avant la voir. Je ne savais pas comment le lui annoncer. En me voyant passer le seuil de sa chambre elle me dit : « Vous venez m'annoncer une triste nouvelle » et la seule parole qu'elle prononça sans une larme fut : « Dieu m'a donc oubliée sur la terre ! » C'était moi qui étais édifiée et muette.


Pour une autre dame j'ai dû lui apprendre une tragédie de montagne survenue dans sa famille : une cordée ayant décroché, un gendre et trois enfants étaient morts sur le coup. Là encore acceptation magnifique et exemple. Nos aumôniers, MM. Anglade et Polex m'aidaient dans cette tâche douloureuse.


Autre émotion : une de mes dames, très indépendante, était partie en fin de journée cueillir des fleurs dans la campagne : elle n'était pas rentrée à la nuit. Nous avons, avec l'aide d'autos, parcouru les environs de la maison. À 11 h nous abandonnions nos recherches la mort dans l'âme car elle approchait de 90 ans. Il plut sans arrêt toute la nuit et je pensais à elle avec anxiété. Le lendemain matin, alors que le docteur faisait sa visite, je vois arriver ma pensionnaire portée sur une chaise par deux jardiniers qui l'avaient trouvée étendue dans l'herbe. Elle était très pâle et toute mouillée. Elle avait été accrochée à des fils de fer barbelés sans pouvoir se relever. Elle était, malgré sa chute, si bien à la page qu'elle n'a pas voulu laisser partir ses sauveteurs sans leur donner à chacun d'eux 10 centimes en remerciements. C'était touchant ! Après auscultation du docteur, réchauffement au lit, elle était debout le lendemain matin n'ayant même pas éternué ! En lui demandant si la nuit n'avait pas été trop longue, elle m'a répondu : « J'ai beaucoup prié car je savais que vous étiez bien inquiète. »


Les années ont passé amenant bien des départs parmi les pensionnaires, remplacées presque aussitôt. Nous avons eu le grand chagrin de perdre notre président M. de Bethmann et Mme de Bethmann peu après. Ils avaient l'habitude de descendre au Repos lorsqu'ils venaient pour les séances du conseil, y semant joie et sentiments affectueux. M. et Mme G. Bost les ont remplacés.


Ces présences pendant quelques jours apportent un souffle du dehors bienfaisant, aussi bien que bien des visiteurs qui y descendent.


Des transformations ont été jugées nécessaires simplifiant la vie de ces dames. Chaque chambre a maintenant l'eau froide et l'eau chaude. L'année dernière on a installé un ascenseur. Il y a longtemps que mes dames avaient de la peine monter jusqu'au deuxième étage : l'âge et leurs forces en étant la cause.


Le salon possède depuis plusieurs années un grand poste de télévision : il y a même une bibliothèque avec l'échange de livres une fois par semaine. Je remercie les deux dames qui, pendant des semaines, ont mis cette bibliothèque à jour qui en avait bien besoin car elle possédait encore des sermons, des brochures remontant à bien loin.


Le Repos abrite maintenant les directrices retraitées, qui, après avoir consacré une longue partie de leur vie au service des malades, des déshérités, ont besoin de calme, de repos bienfaisant.


Et voilà, résumée en quelques pages, ma vie de 33 ans dans cette maison, où, comme je le disais au début, j'ai connu de très grandes joies, car les difficultés étaient vite réglées « en famille ».


Pour moi aussi le moment de la retraite est arrivé. Ce sera non sans émotion que j'abandonnerai cette direction et cette maison qui a été la mienne pendant de si longues années, mais il ne faut pas se survivre.


Le 31 décembre 1970, au dernier coup de minuit j'aurai passé les pouvoirs à mon successeur, tout en conservant dans le cœur des sentiments de très grande reconnaissance envers tous ceux, toutes celles qui m'ont entourée de leur affection et de leur aide. Je pense spécialement à mes fidèles collaboratrices : Mmes Leroux et Couteau qui pendant de longues années m'ont secondée jour et nuit avec un grand dévouement.


Mais ma reconnaissance va surtout vers Dieu qui m'a soutenue jour après jour, me laissant jusqu'à la fin de ma tâche la belle santé qu'Il m'a donnée.

Madeleine Charon
Notre prochain (1970)
revue de la Fondation John Bost
Carte postale Le Repos

Le Repos, maison de retraite de la Fondation John Bost

tombeau Madeleine Charon

Caveau familial de la famille Bost, cimetière de La Force

« C'est par la grâce que vous êtes sauvés. »

Éphésiens 2, 5

« Le Maître est ici. Il t'appelle. »

Jean 11, 28

Infirmières parisiennes : émergence d'une profession (1900-1950), par Christian Chevandier (2011)



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