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Les Asiles John Bost

par A. Hyksos
La Femme,
journal de l'Union nationale des amies de la jeune fille [1]
(1887)


Les amis de Laforce ont appris avec émotion, il y a près d'un mois, la mort de Mme John Bost qui s'était consacrée tout entière, depuis plus de vingt ans, à la prospérité des œuvres fondées par son mari. Sa riche nature et son énergie la maintinrent toujours à la hauteur de sa tâche. On se figurerait difficilement la diversité des devoirs qui s'imposaient à elle : copies et lettres à écrire, conseils à donner, surveillance générale à exercer, étrangers et amis à recevoir. Elle s'acquittait de tout cela avec une rare bonne grâce ; elle s'était accoutumée à ne pas écouter la fatigue, et à commander même à sa santé. Elle est morte, presque subitement, à 52 ans, heureuse de voir en bonnes mains et en plein développement l'œuvre de son mari.


Les neuf asiles sont debout et plus que jamais leur action bienfaisante s'étend sur les malheureux qui y cherchent le secours.


Puisque nous parlons de Laforce, jetons un coup d'œil d'ensemble sur ce bel établissement. Celles de nos lectrices qui le connaissent nous pardonneront de ne leur rien dire de nouveau, en vue du but que nous désirons atteindre. Ce but, nous ne le cachons pas, est de faire aimer celte œuvre par celles qui, peut-être, n'en ont jamais entendu parler. Voici ce que disait à ce sujet, lors de la fête annuelle, M. Molines de Montauban :


« Il y a des œuvres qui font illusion par les rapports qu'elles impriment par les groupements des chiffres qu'elles présentent au public, et dont on peut dire avec le fabuliste : « De loin c'est quelque chose et de près ce n'est rien. » [2] Mais il n'en est pas de même de Laforce. De loin, c'est admirable, de près c'est plus admirable encore. »


« Ce n'est pas par le nombre, dit M. Rayroux, c'est particulièrement par la composition de leurs pensionnaires que les asiles John Bost tranchent sur les autres œuvres. Leur originalité, ce qui les désigne à la sympathie particulière de tout cœur chrétien ou simplement philanthrope, c'est qu'ils accueillent, à la réserve de l'aliénation mentale, les misères et les souffrances de toutes sortes. Ils sont une issue à ceux qui n'en Souvent nulle part ailleurs, une porte où la misère |errante peut frapper, un home aux orphelins, une demeure à tous ceux, petits ou grands, jeunes ou vieux, qui sont privés de toute affection ou de tout secours. En traversant les neuf maisons différentes qui sont groupées sur un riant plateau, sous le beau ciel du Midi, on épuise toute la gamme des sentiments delà sympathie et de la pitié. L'attention toujours en éveil, est toujours étonnée par l'apparition de nouvelles misères. Épileptiques, idiots, aveugles, manchots, éclopés, amputés, paralytiques… je n'ose tout dire, voilà ceux qui peuplent ces refuges de la charité. »


« Tout ce que nous avions ouï dire du bien qui se fait ici », a dit en public un des visiteurs de cette année, « tout ce que nous devinions du dévouement qui s'y déploie n'était rien en comparaison de ce qu'il nous a été donné de voir de nos yeux ! Ce n'était rien comme misère, ce n'était rien comme charité. Non, nous n'avions, nous ne pouvions avoir aucune idée de l'état lamentable dans lequel se trouvent quelques-uns de ces 480 pensionnaires des asiles ; de l'accumulation de souffrances que représentent les noms bien connus de quelques-uns de ces asiles. »


Pour mieux comprendre la vérité douloureuse de ces paroles, nous allons dire un mot de chaque asile en particulier, suivant pour cela à peu près la date de leur fondation.


Nous commencerons par Béthesda dont le nom signifie la maison de miséricorde ; maison bien nommée en effet car, comme jadis les portiques du réservoir abritaient un grand nombre de malades, Béthesda recueille et soigne près de 100 pauvres enfants, hélas ! tous incurables ceux-ci. Ce sont des infirmes, qui dans les moments de répit que leur laissent leurs souffrances apprennent à coudre, ou même arrivent à enseigner ; ce sont des aveugles qui oublient par moment leurs privations en confectionnant de jolis ouvrages ; ce sont des idiotes enfin, pauvres créatures à l'extérieur souvent repoussant, mais dont un bon nombre, à force de soins et de persévérance de la part des directrices, parviennent à un certain développement.


Après Béthesda, c'est Ében-Hézer. On sait la belle signification de ce nom (l'Éternel nous a secourus jusqu'ici) et l'on comprend la pensée profonde qui en a inspiré le choix, car ici ce sont des jeunes filles frappées de cette maladie terrible qui n'a pas encore trouvé son remède et qu'à peine on peut soulager, l'épilepsie. Grâce aux soins minutieux, au traitement intelligent il a été permis de constater chez plusieurs une diminution notable dans le nombre des crises, quoique l'on ne puisse parler de guérison.


L'asile de Siloé est le pendant de Béthesda pour les hommes ; ce sont des infirmes, des aveugles, des idiots que l'on cherche à soulager le plus possible. Mais leur position n'en est pas moins triste surtout quand ils avancent en âge et voudraient se suffire à eux-mêmes. Personne ne consentirait à les employer ; ils sont bien heureux de rester à Laforce, et de s'y occuper, suivant leurs moyens, aux travaux du jardin, ou à l'enseignement des plus jeunes. À quelques pas de Siloé se trouve Béthel (maison de Dieu), l'asile des garçons épileptiques. La maison est entourée de jardins ; des grands peupliers bordent le petit ruisseau qui coule auprès ; là, à l'ombre pendant les chaleurs de l'été, ils passent leurs journées quand les crises les ont terrassés.


Trois maisons, dans ce vaste établissement, sont moins lugubres à visiter. C'est d'abord La Famille où l'on recueille des jeunes filles orphelines ou dont les parents sont vicieux ; elles trouvent bien là ce qui peut le mieux remplacer pour elles la famille avec ses affections et ses tendres soins. Aussi gardent-elles un souvenir heureux de leur séjour à Laforce et souvent elles en indiquent le chemin à d'autres. Un peu plus loin voici le Repos et la Retraite, ouverts, l'un à des institutrices, à des maîtresses d'école infirmes ou incurables, à des veuves malades ; l'autre à des servantes, des femmes veuves ou abandonnées et sans ressources. Là aussi il y a du baume à répandre sur bien des plaies connues ou cachées. Les doux noms que portent ces maisons parlent de ce qu'on désire offrir à des cœurs ulcérés, fatigués de la vie et qui ont besoin d'une atmosphère d'amour et de bienveillance pour apprendre à connaître le consolateur et se préparer à la rencontre de leur Dieu.


Enfin les deux derniers asiles recueillent les déshérités d'entre les déshérités, c'est-à-dire les idiots et les idiotes ayant perdu toute leur intelligence, les imbéciles de tout âge qui sont atteints d'épilepsie ou d'infirmités repoussantes et semblent parfois n'avoir plus rien d'humain. Eh bien, le nom même de ces asiles Compassion et Miséricorde sont comme un appel de foi jeté vers Dieu par leurs fondateurs ; comme une déclaration héroïque qu'il n'y a pas une créature qui soit abandonnée de Dieu ou qui doive être repoussée des hommes.


Mais pour garder cette foi en présence des plus lugubres réalités, au contact de ces souffrances morales liées à des souffrances physiques sans cesse renaissantes ; pour ne pas se lasser depuis vingt ans, trente ans et plus, de souffrir avec ceux qui souffrent, de pleurer avec ceux qui pleurent, d'aimer ceux qui ne peuvent même plus vous le rendre, il faut une force, une patience, un amour surhumains !


Oui, disons-le bien haut à la gloire de l'Évangile, il n'y a pas seulement à Laforce l'humanité avec sa pitié instinctive mais souvent superficielle, la philanthropie avec sa bienfaisance administrative si froide et si impersonnelle… Non ! La charité ne s'élève et ne se tient à une telle hauteur que parce qu'on la puise à sa source éternelle et infinie, la croix de Jésus…

Pour Jésus, dans la personne de ces orphelins, de ces épileptiques, de ces idiots : voilà la devise de tous à Laforce ; voilà pourquoi on peut tant et on peut tout ; voilà pourquoi on n'est jamais las d'aimer, de se dévouer, de faire du bien.




A. Hyksos
La Femme,
Union nationale des amies de la jeune fille
(1er décembre 1887)

Notes :

1- L'Union internationale des amies de la jeune fille (AJF) a été fondée en 1877, à Neuchâtel, l'année du premier congrès abolitionniste international, à Genève (mouvement contre la réglementation officielle de la prostitution). Le mouvement abolitionniste lutte contre l'esclavage sexuel (appelé ainsi en référence à l'abolition de l'esclavage aux États-Unis).

Voir Dictionnaire historique de la Suisse

Lire le premier numéro du journal La Femme (1er janvier 1879)


2- Il s'agit de la fable de Jean de La Fontaine : Le chameau et les bâtons flottants

Lire la fable : Le chameau et les bâtons flottants & commentaires, in La morale chrétienne enseignée à la jeunesse par le développement de cinq cents fables, par Théodore de Hallwyl (Genève, 1865)

Asiles de Laforce en 1878 : liste des bâtiments & résidents

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