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étymologie
Encyclopédie

ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers

dirigée par Diderot & d'Alembert
(XVIIIe siècle)
Étymologie (I)

C'est l'origine d'un mot. Le mot dont vient un autre mot s'appelle primitif, et celui qui vient du primitif s'appelle dérivé. On donne quelquefois au primitif même le nom d'étymologie ; ainsi l'on dit que pater est l'étymologie de pere.


Les mots n'ont point avec ce qu'ils expriment un rapport nécessaire ; ce n'est pas même en vertu d'une convention formelle et fixée invariablement entre les hommes, que certains sons réveillent dans notre esprit certaines idées. Cette liaison est l'effet d'une habitude formée dans l'enfance à force d'entendre répéter les mêmes sons dans des circonstances à-peu-près semblables : elle s'établit dans l'esprit des peuples ; sans qu'ils y pensent ; elle peut s'effacer par l'effet d'une autre habitude qui se formera aussi sourdement et par les mêmes moyens. Les circonstances dont la répétition a déterminé dans l'esprit de chaque individu le sens d'un mot, ne sont jamais exactement les mêmes pour deux hommes ; elles sont encore plus différentes pour deux générations. Ainsi à considérer une langue indépendamment de ses rapports avec les autres langues, elle a dans elle-même un principe de variation. La prononciation s'altere en passant des peres aux enfans : les acceptions des termes se multiplient, se remplacent les unes les autres ; de nouvelles idées viennent accroître les richesses de l'esprit humain ; il faut détourner la signification primitive des mots par des métaphores ; la fixer à certains points de vûe particuliers, par des inflexions grammaticales ; réunir plusieurs mots anciens, pour exprimer les nouvelles combinaisons d'idées. Ces sortes de mots n'entrent pas toûjours dans l'usage ordinaire : pour les comprendre, il est nécessaire de les analyser, de remonter des composés ou dérivés aux mots simples ou radicaux, et des acceptions métaphoriques au sens primitif. Les Grecs qui ne connoissoient guere que leur langue, et dont la langue, par l'abondance de ses inflexions grammaticales et par sa facilité à composer des mots, se prêtoit à tous les besoins de leur génie, se livrerent de bonne heure à ce genre de recherches, et lui donnerent le nom d'étymologie, c'est-à-dire, connoissance du vrai sens des mots ; car ἔτυμον τῆς λεξίος signifie le vrai sens d'un mot, d'ἔτυμος, vrai.


Lorsque les Latins étudierent leur langue, à l'exemple des Grecs, ils s'apperçurent bien-tôt qu'ils la devoient presque toute entiere à ceux-ci. Le travail ne se borna plus à analyser les mots d'une seule langue, à remonter du dérivé à sa racine ; on apprit à chercher les origines de sa langue dans des langues plus anciennes, à décomposer non plus les mots, mais les langues : on les vit se succéder et se mêler, comme les peuples qui les parlent. Les recherches s'étendirent dans un champ immense ; mais quoiqu'elles devinssent souvent indifférentes pour la connoissance du vrai sens des mots, on garda l'ancien nom d'étymologie. Aujourd'hui les Savans donnent ce nom à toutes les recherches sur l'origine des mots ; et c'est dans ce sens que nous l'employerons dans cet article.


L'Histoire nous a transmis quelques étymologies, comme celles des noms des villes ou des lieux auxquels les fondateurs ou les navigateurs ont donné, soit leur propre nom, soit quelque autre relatif aux circonstances de la fondation ou de la découverte. A la reserve du petit nombre d'étymologies de ce genre, qu'on peut regarder comme certaines, et dont la certitude purement testimoniale ne dépend pas des regles de l'art étymologique, l'origine d'un mot est en général un fait à deviner, un fait ignoré, auquel on ne peut arriver que par des conjectures, en partant de quelques faits connus. Le mot est donné ; il faut chercher dans l'immense variété des langues, les différens mots dont il peut tirer son origine. La ressemblance du son, l'analogie du sens, l'histoire des peuples qui ont successivement occupé la même contrée, ou qui y ont entretenu un grand commerce, sont les premieres lueurs qu'on suit : on trouve enfin un mot assez semblable à celui dont on cherche l'étymologie. Ce n'est encore qu'une supposition qui peut être vraie ou fausse : pour s'assûrer de la vérité, on examine plus attentivement cette ressemblance ; on suit les altérations graduelles qui ont conduit successivement du primitif au dérivé ; on pese le plus ou le moins de facilité du changement de certaines lettres en d'autres ; on discute les rapports entre les concepts de l'esprit et les analogies délicates qui ont pû guider les hommes dans l'application d'un même son à des idées très-différentes ; on compare le mot à toutes les circonstances de l'énigme : souvent il ne soûtient pas cette épreuve, et on en cherche un autre ; quelquefois (et c'est la pierre de touche des étymologies, comme de toutes les vérités de fait) toutes les circonstances s'accordent parfaitement avec la supposition qu'on a faite ; l'accord de chacune en particulier forme une probabilité ; cette probabilité augmente dans une progression rapide, à mesure qu'il s'y joint de nouvelles vraisemblances, et bien-tôt, par l'appui mutuel que celles-ci se prêtent, la supposition n'en est plus une, et acquiert la certitude d'un fait. La force de chaque vraisemblance en particulier, et leur réunion, sont donc l'unique principe de la certitude des étymologies, comme de tout autre fait, et le fondement de la distinction entre les étymologies possibles, probables, et certaines. Il suit de-là que l'art étymologique est, comme tout art conjectural, composé de deux parties, l'art de former les conjectures ou les suppositions, et l'art de les vérifier ; ou en d'autres termes l'invention et la critique : les sources de la premiere, les regles de la seconde, sont la division naturelle de cet article ; car nous n'y comprendrons point les recherches qu'on peut faire sur les causes primitives de l'institution des mots, sur l'origine et les progrès du langage, sur les rapports des mots avec l'organe qui les prononce, et les idées qu'ils expriment. La connoissance philosophique des langues est une science très-vaste, une mine riche de vérités nouvelles et intéressantes. Les étymologies ne sont que des faits particuliers sur lesquels elle appuie quelquefois des principes généraux ; ceux-ci, à la vérité, rendent à leur tour la recherche des étymologies plus facile et plus sûre ; mais si cet article devoit renfermer tout ce qui peut fournir aux étymologistes des conjectures ou des moyens de les vérifier, il faudroit qu'il traitât de toutes les Sciences. Nous renvoyons donc sur ces matieres aux articles GRAMMAIRE, INTERJECTION LANGUE, ANALOGIE, MELANGE, ORIGINE et ANALYSE DES LANGUES, METAPHORE, ONOMATOPEE, ORTOGRAPHE, SIGNE, etc. Nous ajoûterons seulement, sur l'utilité des recherches étymologiques, quelques réflexions propres à désabuser du mépris que quelques personnes affectent pour ce genre d'étude.

Anne-Robert Turgot
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