Le mal qui afflige
voler est celui de la confusion des vocables et de l'homonymie malencontreuse. Ce mot, au sens de dérober furtivement, est récent
dans la langue ; je n'en connais d'exemple que de la fin du seizième siècle. Auparavant, on disait
embler, issu du latin
involare,
qui a le même sens. Par malheur,
voler, l'intrus, a chassé complètement l'ancien maître de la maison.
Embler,
qui a été en usage durant le seizième siècle et dont Saint-Simon (il est vrai qu'il ne craint pas les archaïsmes) se sert encore, a aujourd'hui tout à fait
disparu de l'usage. Ce qui a fait la fortune de
voler, c'est son identité avec un mot très courant,
voler, se soutenir par
des ailes. Une fois que, grâce à quelque connexion assez saugrenue, l'usage eut rattaché l'action du faucon dressé qui
vole (c'est le mot
technique) une perdrix et l'action du coquin qui s'empare de ce qui ne lui appartient pas,
voler, c'est-à-dire dérober, étant protégé
par
voler, c'est-à-dire se mouvoir en lair, n'eut plus aucun effort à faire pour occuper le terrain d'
embler. Mais admirez
la sottise de l'usage, qui délaisse un terme excellent pour confondre le plus maladroitement ce qui était le plus justement distinct.
Voler avec son
sens nouveau est un gros péché contre la clarté et l'élégance. C'est le seizième siècle qui est coupable de ce fâcheux néologisme.